XVII
DES VAISSEAUX DE PASSAGE

Bolitho monta sur le pont. Il avait encore le goût de son café dans la bouche. Keen était sur le point de commencer un exercice de tir : cette fois-ci, les douze-livres du pont supérieur. Les hommes présents lui jetèrent un regard lorsqu’il s’approcha de la lisse de dunette, comme d’habitude. Ils s’étaient habitués à voir leur amiral vêtu très simplement, en pantalon et en chemise. Bolitho était satisfait, Keen avait convaincu ses officiers d’en faire autant. Si cela ne les rendait pas plus proches, du moins ressemblaient-ils davantage à des êtres humains.

Keen lui fit un sourire.

— Voile en vue, amiral. Loin au vent.

Il essayait de le distraire, de rompre la routine.

Le Prince Noir faisait cap plein sud, à quelque deux cent cinquante milles d’Antigua. Par le travers, les vigies distinguaient tout juste l’île de Sainte-Lucie, le volcan éteint de la Soufrière, amer bien visible qui avait sauvé au fil des ans nombre de navigateurs.

Sur leur arrière, les deux soixante-quatorze, la Walkyrie et L’Implacable, se traînaient comme des escargots. Leur reflet bougeait à peine sur la mer bleu foncé. La surface paraissait solide comme du verre, on aurait cru pouvoir marcher dessus. Bolitho avait placé tous les autres sous les ordres de Crowfoot et les avait envoyés croiser dans le détroit de la Guadeloupe, plus au nord.

Tout cela était aussi décourageant que possible. Les vaisseaux étaient trop lents, ils avaient aperçu à plusieurs reprises des navires non identifiés qui s’étaient vite enfuis pour éviter de se faire arraisonner et fouiller par des bâtiments de guerre. Il leur aurait fallu quelques vaisseaux de tonnage plus modeste. Godschale, qui avait lui-même commandé une frégate pendant la guerre précédente, aurait dû remuer ciel et terre pour leur en procurer.

Qui était donc ce nouveau venu ? Visiblement, pas un ennemi. Si tel avait été le cas, il aurait détalé comme un lapin qui se retrouve nez à nez avec des chiens de chasse.

Sedgemore cria au lieutenant de vaisseau Whyham :

— Remettez les hommes au travail ! Je veux voir ces douze-livres parés d’ici dix minutes, et moins si le cœur leur en dit !

Bolitho examina un instant les servants. Ils étaient dos nu, certains couverts de coups de soleil, d’autres noirs comme du charbon. Mais il savait bien, de par sa propre expérience de commandant, qu’ils étaient encore loin de satisfaire aux exigences de Sedgemore.

— Ohé du pont ! C’est une frégate !

Bolitho vit Keen se tourner vers lui. De quoi s’agissait-il cette fois-ci ? Etait-ce l’annonce de la mort de Sutcliffe ? Des nouvelles du pays ? Ou encore, la guerre était-elle finie, et ils étaient les derniers à l’apprendre ?

— Mettez en panne, commandant. Laissez-la venir sur nous – et, se tournant vers les équipes de pièce : Je vous suggère de ne pas interrompre l’exercice, monsieur Sedgemore. On a déjà vu des vaisseaux continuer à combattre alors même qu’ils étaient sans erre.

— Monsieur Houston, en haut avec une lunette !

Keen se détourna pour échapper aux hurlements de Sedgemore.

— Monsieur Julyan, paré à mettre en panne, je vous prie !

Tandis que le gros trois-ponts remontait péniblement dans le lit du vent et que ses deux conserves s’efforçaient de suivre dans les eaux, voiles pendantes, les vingt-huit pièces du pont supérieur se mirent en batterie.

— Ohé du pont, commandant ! Elle montre son indicatif !

L’aspirant grimpé à ces hauteurs vertigineuses criait d’une voix suraiguë, Bolitho devina qu’il ne devait pas se sentir à l’aise.

— Tybald, frégate de trente-six, capitaine de vaisseau Esse !

Bolitho essaya de ne pas trop céder à l’espoir. Le dernier vaisseau de l’escadre et une frégate, qui mieux est. C’était comme si ses prières avaient été exaucées.

Il sortit une lunette du râtelier et la pointa sur le vaisseau qui se rapprochait. Où Adam était-il en ce moment ? Comme le temps passait vite : on était déjà à la mi-janvier de l’an 1809. Une nouvelle année, sans rien qui le montrât. Il songeait à l’Angleterre, au vent mordant de l’Atlantique qui se faufilait dans les jardins autour de la vieille demeure. Et Catherine ? Etait-elle vraiment heureuse de mener cette existence, seule au milieu de gens qui pour la plupart lui resteraient à jamais étrangers ? Et si elle allait se lasser, rechercher ailleurs d’autres distractions ?

Deux heures plus tard, le Tybald s’était rapproché presque à portée de canon. Bolitho dit à Keen :

— Le commandant à bord dès que possible, Val.

Il sursauta en voyant une équipe de pièce s’affoler au moment où son douze-livres, mal saisi, commença à partir tout seul.

Sedgemore se mit à hurler :

— Mais bon sang, Blake, vous n’avez que des bras cassés, aujourd’hui !

Bolitho sourit et effleura le médaillon qu’il portait sous sa chemise trempée. Qu’allait-il penser là ? Ils étaient amants, rien ne pourrait les séparer.

Il attendit que la frégate eût mis en panne à son tour et affalé un canot pour descendre dans sa chambre. Nous allons enfin avoir des nouvelles fraîches.

Le capitaine de vaisseau William Esse était un homme souriant, de haute taille, vêtu à l’ancienne mode, ce qui était surprenant chez un officier âgé de vingt-cinq ans. Il posa un sac de toile sur la table et s’assit précautionneusement, comme s’il avait peur de s’emmêler les jambes, qu’il avait immenses.

— Quelles nouvelles, commandant ? Je suis impatient de vous entendre.

Esse sourit et prit le verre que lui tendait Ozzard.

— Il faisait chaud à la Jamaïque, sir Richard, et cette révolte d’esclaves n’était guère plus qu’une petite émeute. Nous aurions pu nous passer des troupes embarquées – il haussa les épaules : Je les ai donc ramenées à Antigua.

— Comment va Lord Sutcliffe ?

Esse se raidit.

— Il est toujours vivant, sir Richard, encore qu’il n’ait pas demandé à me voir – voyant la tête que faisait Bolitho, il ajouta vivement : Un transport de passagers à fait relâche à Antigua. Vous avez là des lettres d’Angleterre.

Bolitho tendit la main vers la lourde sacoche. Des lettres de Catherine, au moins une, en tout cas. Il en avait pour ainsi dire faim, un violent désir. Tout le reste ne lui apportait que déception. Aucune nouvelle de l’ennemi. La menace qu’il craignait n’était-elle que le fruit de son imagination ? Ou peut-être les épreuves qu’il avait subies dans le canot avaient-elles affecté son jugement ?

Voilà plus de trois mois qu’ils avaient quitté Spithead, une éternité. Et Sutcliffe qui ne consentait toujours pas à mourir. Il se demandait comment Herrick arrivait à s’en sortir.

— Ah, sir Richard, s’exclama Esse, j’oubliais une chose ! l’Anémone est entrée au port au moment où je levais l’ancre ! Je n’ai guère eu le temps de converser avec le commandant Bolitho, mais j’ai cru comprendre qu’il apportait des dépêches à Lord Sutcliffe. Il m’a crié d’un bord à l’autre qu’il s’agissait de choses importantes, mais je n’ai pas réussi à savoir quoi.

— C’est étrange, je pensais justement à mon neveu lorsque le Tybald est arrivé. Mais pourquoi est-il ici ? L’affaire doit être sérieuse.

Toutes ces questions restaient sans réponse. Des dépêches pour l’amiral, mais l’Amirauté devait ignorer l’état dans lequel se trouvait Sutcliffe. Il décida d’insister :

— Ne vous souvenez-vous vraiment de rien d’autre ?

Esse fronça les sourcils, voilant ainsi ses yeux clairs.

— Je n’y ai guère prêté attention, sir Richard, dans la mesure où cela ne concernait pas l’escadre.

— Que vous a-t-il dit ?

— C’est au sujet des Français. Il m’a raconté quelque chose à propos de vaisseaux ennemis… Je suppose qu’il voulait parler de l’Angleterre.

— Mon Dieu.

Bolitho aperçut Ozzard qui passait la tête à travers le passe-plat.

— Allez chercher le commandant et mon aide de camp.

Esse était médusé.

— Je vais vous remettre des ordres écrits. Vous allez retourner à Port-aux-Anglais le plus rapidement possible. Vous vous rendrez auprès de l’amiral Herrick et vous vous assurerez que copie de mes dépêches est transmise immédiatement à Saint Kitts et à Londres.

Il se détourna pour ne pas laisser Esse le voir aussi désespéré. Londres ? Autant essayer d’envoyer un colis sur la Lune.

Keen et Jenour arrivèrent. Bolitho leur dit seulement :

— Adam est arrivé d’Angleterre. Il apporte à n’en pas douter des dépêches de l’Amirauté – sans quoi ils ne se seraient jamais séparés d’une frégate.

— Mais ce n’est pas sûr, amiral, lui répondit doucement Keen.

— C’est ma responsabilité, Val.

Il essayait de sourire, mais en vain. Depuis des mois, on rapportait que les Français renforçaient en secret leurs escadres des Antilles. D’ici quelques semaines, une armée navale et des forces terrestres s’attaqueraient à la Martinique. Et ces escadres anglaises coincées à la Jamaïque… Il en avait des sueurs froides. L’histoire du convoi de Herrick, massacré, qui recommençait.

Il reprit plus sereinement :

— Assurez-vous que le contre-amiral Herrick comprend bien. Tous les bâtiments, toutes les unités de terre doivent être prêts. Car, dès que l’ennemi aura réussi à fractionner nos forces d’invasion, il s’en prendra immanquablement à Antigua.

— Je ferai de mon mieux, acquiesça Esse, très calme.

— Laissez-moi à présent, je dois rédiger mes ordres.

Il resta seul avec Keen et Jenour, tandis que le vaisseau se balançait doucement sur la longue houle, et que le pont principal résonnait de grincements de palans de tous les bruits causés par l’exercice dérisoire auquel se livrait Sedgemore. Il leur demanda :

— Pensez-vous que j’aie perdu la tête ?

— Pas le moins du monde, amiral – Keen hésita : Mais il faut que les choses soient dites. Ce n’est qu’une hypothèse.

— Possible. Mais, depuis une semaine que nous sommes ici, nous savons au moins que nous n’avons vu aucun mouvement de l’ennemi. Leurs vaisseaux doivent donc se trouver ailleurs. Exact ?

— S’ils ont l’intention d’arriver par-là, amiral.

Bolitho se leva et commença à arpenter la chambre. Il n’avait aucune nouvelle. Dans ce cas, pourquoi devrait-il se faire du souci, avec en plus un supérieur hiérarchique complètement fou, qui considérerait la moindre initiative, même venant de lui, comme un acte de grave insubordination ? Par un retour amer du destin, ce serait peut-être Herrick qui viendrait témoigner lors de son propre passage en conseil de guerre ! Il finit par dire à haute voix :

— Mais oui, je me fais du souci. C’est bien pour cela que nous sommes venus !

Il se calma un peu.

— Remettez en route, Val, et signalez aux autres de rester à poste. Nous franchirons le détroit de Sainte-Lucie, c’est plus long, mais les vents nous seront plus favorables. Avec un peu de chance, nous retrouverons les vaisseaux de Crowfoot et nous pourrons alors remonter dans le vent. À ce moment, le Tybald aura sans doute rallié. Dans le cas contraire…

Il n’avait pas besoin d’en dire plus.

— Je suis prêt, amiral, lui répondit Keen.

Bolitho lui sourit.

— Jusqu’à la bataille décisive, jusqu’aux portes de l’enfer si besoin, hein, Val ?

C’est sérieusement que Keen conclut :

— Certes. Toujours.

 

Le contre-amiral Thomas Herrick se tenait près de la fenêtre ouverte. Il s’épongea le visage de son mouchoir. À midi, avec ce soleil, on avait du mal à réfléchir. Les assauts incessants de hordes de moustiques et autres insectes étaient une gêne constante.

Assis à la table, le capitaine de vaisseau John Pearse, devenu son adjoint avec la maladie répugnante dont souffrait l’amiral – mais qui était en temps normal directeur de l’arsenal, et un directeur fort occupé –, le regardait, l’air méfiant. Pearse était assez satisfait de son poste, même sachant qu’il n’accéderait jamais à un grade plus élevé. Cela faisait longtemps qu’il était dans les îles et il était habitué aux variations brusques de leur climat. Assez longtemps aussi pour avoir surmonté les nombreuses fièvres et autres affections qui apportaient à chaque semaine son compte d’immersions ou d’enterrements dans le petit cimetière militaire. On pouvait y voir, spectacle pathétique, des stèles aux armes des régiments, ou des inscriptions qui mentionnaient les noms de villes et de villages de la mère patrie, des noms dont Pearse se souvenait à peine. Il se demandait ce qui troublait Herrick à ce point. Sutcliffe était à l’agonie ; il fallait qu’il meure, sans quoi tout son état-major sombrerait comme lui dans la folie. Il était dans un état horrible – la chair à vif, crachant des vomissures noires, presque aveugle –, toute la résidence en était contaminée et l’humeur de Herrick s’assombrissait chaque jour qui passait.

Il avait eu précisément l’un de ses accès de colère inexplicables lorsqu’un planton était venu lui annoncer que la frégate Tybald était dans les passes et en partance pour rallier l’escadre de Bolitho. Puis qu’une seconde frégate avait été vue s’approchant de terre.

— Il s’agit de l’Anémone, amiral, frégate de trente-huit, sous les ordres de…

Herrick l’avait violemment interrompu :

— Je connais le nom du commandant – le neveu de Sir Richard ! Cessez de me faire perdre mon temps !

Avec toutes les précautions possibles, Pearse avait proposé :

— Je pense qu’il serait plus prudent de rappeler le Tybald, amiral. LAnémone apporte peut-être des nouvelles qui méritent d’être prises en considération.

Herrick avait vu les deux frégates se rapprocher en route de collision, les tuniques rouges qui montaient à la batterie pour rendre le salut.

— Je ne suis pas de cet avis.

Les deux frégates s’éloignaient lentement l’une de l’autre à présent. Pourquoi Adam était-il ici ? Il y avait sûrement des nouvelles fraîches depuis l’arrivée du Prince Noir à Port-aux-Anglais. Puis il entendit des bruits de pas, des domestiques qui se rendaient au chevet de l’amiral, à n’en pas douter. Malade physiquement, malade dans sa tête. Mieux vaudrait qu’il meure.

Pearse ramassa quelques papiers épars et leva les yeux, sur Herrick, résigné.

— Les Français se sont peut-être rendus.

Il regretta immédiatement sa phrase.

— Rendus ? Jamais de la vie, mon vieux ! Ce sont des sauvages, ils se battront jusqu’à la dernière cartouche !

Il fit la grimace en entendant le premier coup de canon rouler en écho dans le port. Il s’approcha de l’appui et regarda la frégate qui s’approchait du canot de rade. Le vent avait un peu fraîchi, cela dégagerait peut-être l’atmosphère. Il vit de la fumée dériver sur l’eau et se souvint de l’époque où lui-même servait à bord d’une frégate. Mais il n’en avait jamais commandé.

C’était Adam qui lui avait annoncé la mort horrible de Dulcie. Eût-ce été un autre, il aurait peut-être réussi à se maîtriser, au moins pour un temps, vis-à-vis du public. Mais Adam était un Bolitho, même s’il ne devait son patronyme qu’à la bienveillance de son oncle. C’était un bâtard, son père avait déserté la marine royale pour rallier les rebelles américains… Et pourtant, jamais l’opprobre ne l’avait atteint, pas plus qu’il n’avait ralenti son avancement.

C’était trop injuste. Dulcie lui avait tout apporté, la stabilité, la fierté et, plus que tout, l’amour. Mais ils n’avaient jamais eu d’enfant. Il vit l’éclair du dernier coup de canon, aperçut l’Anémone dont l’ancre tombait en projetant une gerbe d’embruns. Richard et sa femme, le Ciel avait béni leur union en leur accordant la joie de mettre au monde une petite fille. Comment avait-il pu la délaisser ? Tout à coup, il pensa à Catherine. Elle était restée près de Dulcie jusqu’à la fin, courant un réel péril. Pourquoi ne puis-je toujours pas me résoudre à l’admettre.

Il reprit brusquement :

— Faites donner la consigne au sémaphore, commandant. Je veux recevoir le commandant de l’Anémone avant tout autre.

Le capitaine de vaisseau Pearse acquiesça, mais il était gêné. Il était peu probable que Lord Sutcliffe apprît ou se souciât seulement de ce qui se passait.

Adam arriva une heure plus tard, sa coiffure sous le bras et un sabre court battant sur la hanche. Herrick lui serra la main.

— Ne me faites pas languir, Adam ! Quelle surprise ! Combien de temps avez-vous mis ?

Adam inspecta la pièce : l’officier de garde lui avait bien crié depuis le canot que Lord Sutcliffe était souffrant, mais il s’était tout de même attendu à le trouver là.

— Dix-huit jours, amiral, répondit-il avec un grand sourire, ce qui eut pour effet d’adoucir un peu ses traits burinés, marqués par les soucis du commandement.

Herrick lui montra un siège et vint s’asseoir en face de lui.

— Pourquoi cette hâte ?

— J’apporte de l’Amirauté des dépêches de la plus haute importance, amiral. Il semblerait que le mauvais temps qui sévit dans l’Atlantique a permis à quelques vaisseaux français d’échapper aux escadres de blocus.

Il se tut, s’attendant à une réaction.

— J’ai reçu ordre de remettre ces dépêches sans retard à Lord Sutcliffe.

— Impossible. Il est trop malade. Je ne puis rien lui dire.

— Mais – Adam était encore sous le coup de sa réponse abrupte : C’est peut-être vital. On dit que les vaisseaux ennemis font route vers ici, encore que, je pense que certains sont déjà là. J’ai été engagé hier par un canon installé à terre, à boulets rouges, j’ai bien failli y rester, mais j’ai réussi à me dégager. Et il y avait également des soldats français…

— Vous avez donc eu le temps de vous occuper de l’ennemi ? L’espoir d’une prise petit-être ?

Adam le regarda avec surprise.

— Oui, il y avait là une goélette, amiral. Elle transportait de la poudre et des soldats. Je l’ai coulée avant de repartir.

— Très louable.

Herrick baissa les yeux sur ses mains, posées sur ses cuisses.

— Votre oncle se trouve dans le Sud. Il a fractionné son escadre. Voyez-vous, nous ne disposons d’aucune frégate tant que le Tybald n’est pas rentré de Port-Royal. Et nous avons la vôtre désormais.

Il releva la tête, ses yeux bleus étincelaient.

— Et j’imagine qu’il en arrive une autre. Une vraie flotte !

Adam avait du mal à se maîtriser et à cacher sa déception.

— Que se passe-t-il, amiral ? Quelque chose ne va pas ? Puis-je vous aider ?

— Quelque chose n’irait pas ? Et pourquoi donc ?

Herrick s’était levé et avait gagné la fenêtre sans même s’en rendre compte.

— Apparemment, les gens de votre famille croient qu’ils ont un remède à tous les maux, pas vrai ?

Adam se leva lentement.

— Puis-je vous parler à cœur ouvert, amiral ?

— Je n’en attends pas moins de vous.

— Je vous connais depuis que je suis aspirant. Je vous ai toujours considéré comme un ami, et comme un marin expérimenté.

— Avez-vous changé d’avis ?

Herrick cligna des yeux sous la lumière. Il voyait au loin l’activité qui régnait à bord du bâtiment de ce jeune homme.

— Plus tard, j’ai eu le sentiment que j’étais un obstacle entre votre véritable ami et vous-même – il lui montra la mer : Lequel ami est en mer, et ignore tout des renforts acheminés par les Français.

Il parlait plus fort, sans pouvoir se retenir.

— Je ne suis plus aspirant, amiral. Je commande l’une des plus belles frégates de Sa Majesté et je crois bien faire mon métier.

— Vous n’avez pas besoin de crier.

Herrick fit volte-face.

— Je ne suis pas autorisé à ouvrir les plis destinés à Lord Sutcliffe – même vous, vous êtes capable de le comprendre. Votre oncle commande l’escadre, tous nos autres bâtiments sont concentrés, soit à la Barbade, soit à la Jamaïque. Ici, nous n’effectuons que des patrouilles, entre Antigua et Saint Kitts, mais vous le savez déjà, naturellement – il s’énervait : J’aimerais simplement que le contre-amiral Gossage fût ici pour partager les lauriers de cette folie !

Adam était de plus en plus mal à l’aise.

— Ce serait difficile. Il est mort quelques semaines après avoir pris son poste.

— Mon Dieu, fit Herrick, les yeux ronds. Je n’étais pas au courant !

Adam détourna son regard.

— Si c’est ainsi, je vais faire voile immédiatement et rallier l’escadre de mon oncle. Je dois l’alerter – il hésita, il détestait être contraint de supplier ainsi : Je vous le demande, amiral, pour l’affection qu’il vous porte, si ce n’est pour autre chose, ouvrez ces dépêches.

— Il y a du rebelle chez vous, lui dit Herrick d’un ton glacial, en êtes-vous conscient ?

— Si vous faites allusion à mon défunt père, amiral, souvenez-vous de cette histoire : « qu’il lui jette la première pierre ».

— Merci de me le rappeler. Vous pouvez regagner votre bord et vous préparer à reprendre la mer. Je vais vous envoyer des allèges d’eau douce immédiatement – voyant que le visage du jeune homme s’éclairait, il ajouta aussitôt : Non, non, je ne vous envoie pas chercher la gloire sur le vaste océan ! Je vous envoie à Port-Royal, l’amiral qui commande là-bas décidera de ce que vous aurez à faire. Il est chargé de l’invasion de la Martinique avec le général Beckwith.

— Dans ces conditions, répondit Adam, abattu, il sera trop tard.

— Ne me faites pas la leçon, mon garçon. Nous sommes à la guerre, pas en classe.

— J’attendrai votre bon vouloir, amiral.

Il était devenu un étranger, il n’y avait plus rien à dire, plus rien à faire.

— Je ne parviens pas à croire ce qui arrive, ce qu’est devenu ce qui était si cher à mon oncle – il lui fit face : Mais qui ne m’est plus du tout aussi cher à moi, amiral !

 

La nuit tombait lorsque l’Anémone leva l’ancre et largua ses huniers dans les lueurs cuivrées du couchant. Herrick regardait par sa fenêtre et, après un moment d’hésitation, porta son verre de cognac à ses lèvres. C’était le premier qu’il buvait depuis cette journée étonnante, lorsque Gossage avait apporté le témoignage qui l’innocentait, au dernier jour du conseil de guerre.

Ce jeunot pouvait bien aller au diable, avec son insolence – son arrogance, même. Herrick avala son cognac et manqua hoqueter. Il était décidé à ne plus prendre aucun risque, quoi qu’on pût lui reprocher par la suite. Ceux qui l’avaient critiqué s’en étaient sortis. Lui ne serait jamais plus en sûreté. De toute façon, le Prince Noir était un grand vaisseau, bien plus gros que son pauvre Benbow l’avait été pendant cette terrible journée. Il était capable de se défendre.

La porte s’ouvrit, le capitaine de vaisseau Pearse pénétra dans la pièce silencieuse. Il aperçut le verre vide et les dépêches toujours cachetées, posées près du coffre-fort.

— J’ai dit que je ne voulais pas être dérangé, jeta l’amiral d’une voix pâteuse. J’ai besoin de réfléchir ! Et s’il s’agit du capitaine de vaisseau Bolitho, je vous prie de ne pas vous en mêler !

— Le chirurgien sort de chez moi, répondit placidement Pearse. Lord Sutcliffe vient de mourir.

À la lumière du chandelier, ses yeux brillaient dans l’obscurité. Il vit Herrick se retenir d’une main au rebord de la fenêtre.

— Par voie de conséquence, vous prenez le commandement jusqu’à ce que l’on vous relève, amiral.

Herrick sentait le sang lui battre aux tempes, des coups de marteau. Il avait envoyé Adam au diable, il était trop tard à présent. À l’aube, même une goélette serait incapable de le retrouver.

Il s’approcha de la table d’un pas décidé, défit l’enveloppe de toile et en sortit le pli scellé du grand sceau de l’Amirauté. Il n’osait pas encore l’ouvrir. Ce que contenait ce courrier était sans doute déjà périmé et destiné uniquement à l’homme qui gisait dans ses excréments. Avec les distances, les difficultés de communication, le temps, la stratégie n’était plus qu’un jeu de devinettes, on la laissait à la discrétion de celui qui devait la mettre en œuvre. Il avait reconnu Bolitho dans le visage de son jeune neveu. Il n’avait jamais montré la moindre hésitation, pas même lorsqu’il avait été pris en faute. Il avait… un charme. Comment disait-on déjà ? Un charisme. Tout comme Nelson, qui l’avait payé de sa vie.

Le capitaine de vaisseau vit qu’il hésitait.

— Personne ne vous le reprochera, amiral.

Il resta là sans rien dire, tandis que Herrick, s’emparant d’un couteau, brisait le sceau. Les jours précédents, il avait redouté de le voir lui demander de l’aider à contourner l’autorité de Sutcliffe.

Il s’était même demandé comment il s’y prendrait pour refuser. Voilà qui n’était plus nécessaire.

Herrick leva les yeux, comme s’il essayait de le distinguer dans la pénombre.

— Ceci indique que cinq bâtiments de ligne ont forcé le blocus. Le contre-amiral André Baratte – il n’arrivait pas à dire son grade en français – s’est échappé de Brest à bord d’une frégate hollandaise, le Triton.

Il se tut, comme pour en prendre acte, silencieusement.

— Ainsi donc, pour cela aussi, il avait raison.

Le capitaine de vaisseau Pearse demanda :

— Connaissez-vous cet amiral français, amiral ?

— J’en ai entendu parler. Son père était un grand homme, mais il a été guillotiné avec tous les autres pendant la Terreur – il n’essayait pas de dissimuler son écœurement : Mais son fils lui a survécu. Il s’est distingué dans plusieurs opérations secrètes et autres coups tordus – il regardait Pearse sans le voir : Ce que l’on appelle la stratégie, en haut lieu.

— Qu’allons-nous faire, amiral ?

Herrick ne releva pas.

— Pourquoi ce sac de furoncles n’est-il pas mort avant l’arrivée d’Adam ? Dans ce cas, j’aurais pu faire quelque chose. À présent, il est foutrement trop tard.

— Cinq vaisseaux de ligne, amiral. Plus ceux qui se trouvent déjà aux Antilles… Baratte constitue une menace formidable.

Herrick ramassa sa coiffure.

— Occupez-vous de la cérémonie des funérailles. Et dites au major commandant la grande batterie que la première fois qu’il tirera le canon de salut, ce sera pour accueillir la Flotte française !

Il laissa Pearse qui parcourait les dépêches, totalement interloqué. Tout était allé si vite, il avait suffi de quelques traits de plume. Il s’écria :

— Mais ce n’est la faute de personne !

Seul le bourdonnement des insectes lui répondit.

Loin de là, en pleine mer, huniers et vergues hautes colorés d’argent par la lune, la frégate Anémone taillait sa route, poussée par une brise fraîche de nordet. Les lieutenants de vaisseau Sargeant et Martin pénétrèrent dans la minuscule chambre des cartes où ils trouvèrent leur commandant, absorbé dans leur étude. Le second lui dit :

— Vous nous avez fait demander, commandant ?

Adam lui prit le bras en souriant.

— Je me suis montré désagréable en revenant à bord.

Sargeant eut l’air soulagé.

— J’ai mis du temps à comprendre, commandant. Nous étions – tous ceux d’entre nous qui étaient au courant – fort attristés de ce que vous nous avez raconté, l’ordre qui vous avait été donné de ne pas rallier le vaisseau amiral.

— Merci.

Adam prit une paire de pointes sèches.

— Nelson a dit un jour que les ordres écrits ne remplaceront jamais le sens de l’initiative d’un commandant.

Les deux officiers le regardaient sans rien dire. Au-dessus d’eux, le second lieutenant arpentait la dunette, se demandant sans doute ce qui se passait.

Adam reprit lentement :

— Il y a certes quelques risques à courir, mais pas pour vous, dans le cas où j’aurais tort.

Il voyait tout son bâtiment comme s’il en avait les plans sous les yeux.

— Cela dit, je dois courir ces risques.

Sargeant fixait les pointes sèches et les calculs gribouillés sur la carte.

— Ainsi, commandant, vous n’avez aucunement l’intention de gagner Port-Royal. Vous voulez partir à la recherche des vaisseaux de Sir Richard.

Il avait parlé d’un ton très posé et pourtant, lorsque l’on songeait à tout ce que cela impliquait, on aurait cru un claquement de tonnerre.

— Commandant, vous risquez de tout perdre ! s’exclama Martin.

— Oui. J’y ai bien réfléchi – il se pencha sur la carte : Mon oncle ne peut m’être d’aucune aide. Pas cette fois-ci.

Il leva la tête, les yeux brillants.

— Me suivez-vous ? Je ne vous en voudrai pas si…

Sargeant posa sa main sur la sienne, puis Martin en fit autant.

— Je vais prévenir le vieux Partridge. De toute manière, il n’a jamais trop aimé la Jamaïque.

Ils le laissèrent seul et, pendant un long moment, Adam resta planté là, suivant les mouvements de la frégate. Il songeait à son oncle, perdu dans la nuit avec Keen. Le mari de sa maîtresse. Quel étrange rendez-vous…

Il reposa les pointes sèches en souriant. Les dés en sont jetés. En tout cas, il ne regretterait rien.

 

Bolitho escalada le pont fortement incliné jusqu’à apercevoir la frégate Anémone qui venait sous le vent du Prince Noir. La coque élancée et la voilure se teintaient de rose dans les lueurs de l’aube.

Il se tourna vers son neveu qui tenait une tasse vide à la main. Il faisait penser à un petit garçon qui vient de se faire sermonner par quelqu’un qu’il aime ou qu’il respecte. Dans son cas, il s’agissait des deux sentiments.

— J’ai du mal à le croire, Adam. Vous avez délibérément désobéi aux ordres pour partir à ma recherche ?

Le jour se levait à peine lorsque la vigie avait signalé les huniers de l’Anémone. L’espace d’un instant, Bolitho avait cru que c’était le Tybald qui revenait après avoir porté ses courriers à Herrick.

— Vous savez où ça peut vous mener. Je savais que vous étiez un chien fou, mais je n’aurais jamais cru…

Il se tut, ce qu’il était en train de faire le dégoûtait.

— Assez de ce sujet. Comment avez-vous pu me retrouver et arriver avant le Tybald ?

Adam posa sa tasse.

— Je savais ce que vous feriez dans ces parages, amiral.

Bolitho s’approcha de lui et lui mit les mains sur les épaules.

— Quoi qu’il en soit, je suis diablement content de vous voir. Si vous repartez immédiatement, vous n’aurez qu’un jour de retard pour remettre vos plis au vice-amiral Sir Alexander Cochrane. Mais vous me dites que vous n’avez pas vu l’autre moitié de mon escadre ? Voilà qui est étrange.

Adam se leva en regardant Ozzard. Celui-là, il n’était jamais très loin.

— Demandez que l’on rappelle mon canot.

Puis, se tournant vers Bolitho :

— Je ne pouvais vraiment pas me contenter de partir et de vous laisser sans nouvelles, mon oncle. J’ai essayé de prendre contact avec le Tybald, mais il était trop rapide.

— Il m’avait prévenu, Adam. Mais ce que vous m’avez appris, cette goélette, ce canon débarqué à terre, voilà qui est sérieux. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi Thomas Herrick n’a pas voulu passer outre les ordres de Lord Sutcliffe. Il n’avait plus sa tête lorsque je l’ai vu. Thomas a certes de bonnes raisons, mais je ne comprends toujours pas.

Adam se mordit la lèvre.

— J’aurais aimé pouvoir rester avec vous. Sans vous, je ne serais rien, mais je recommencerais si le cas se représentait.

Bolitho l’accompagna jusqu’à la coupée. Le fait que Herrick n’ait même pas ouvert les plis avant l’appareillage d’Adam était étrange. Des vaisseaux français, mais lesquels et combien ? Et qui les commandait ?

Les ponts étaient remplis de monde car on avait rappelé les deux bordées pour remettre en route. Les deux soixante-quatorze tombaient sous le vent. Leurs commandants devaient se demander ce qui se passait.

Keen observait ses hommes. Les exercices de manœuvre montraient certes leurs effets, mais il restait encore des progrès à faire. Il fit un signe amical à Adam et lui dit :

— Décidément, avec vous, on n’a que des surprises !

Il les avait volontairement laissés s’entretenir seul dans la grand-chambre. Ils avaient tant de choses à se raconter, et si peu de temps devant eux. Comme tous les marins, ils savaient que c’était peut-être la dernière fois.

— J’ai remis un croquis de l’île à votre aide de camp, dit Adam à Bolitho – il poussa un soupir : Mais je doute que les Français s’éternisent là-bas. Ils savent que je venais apporter des dépêches à Antigua – il ajouta, pris d’une immense amertume : Et quand on voit pour quel résultat !

Bolitho lui prit le bras.

— Il faut plus longtemps que vous ne croyez pour faire bouger une armée, Adam. Mon instinct me dit qu’ils vont quitter leur base là-bas, peut-être même dans d’autres îles, lorsqu’ils sauront que nous avons attaqué la Martinique. Dans ces parages, ils disposent de bien plus de renseignements que moi – puis, baissant le ton : Nous nous retrouverons bientôt, Adam. Cochrane n’est pas du genre à me priver d’un cinquième rang en renfort alors que j’en ai si désespérément besoin !

Adam tenta de sourire. Le fait d’être près de Keen ravivait des souvenirs qui le torturaient. Il se revoyait avec Zénoria, et Zénoria avec son mari, se donnant à Keen comme elle s’était donnée à lui.

Il salua rapidement et se laissa descendre dans son canot qui bouchonnait. Bolitho dit avec gravité :

— Il est encore tout fou, Val. Il a risqué gros pour nous communiquer les dernières nouvelles.

Keen se tourna vers lui, l’amiral était visiblement soucieux.

— Il a son bâtiment à lui, et des perspectives plus exaltantes que tout ce qu’il aurait pu rêver.

Il vit que son second le regardait attentivement, comme un chien de berger.

— Ce qu’il lui faut, c’est une bonne épouse pour l’accueillir chaque fois qu’il rentre de mer.

Puis, s’adressant à Sedgemore :

— Vous m’avez l’air bien impatient de remettre en route. Eh bien, faites, je vous prie.

Les marins et les fusiliers s’activèrent immédiatement. Keen voyait des îlots bleus, ses officiers et officiers mariniers qui pressaient leurs hommes de déhaler aux bras et aux drisses.

Bolitho se tourna vers Jenour.

— Je vais demander à Yovell de m’écrire deux lettres, Stephen. Nous n’allons pas perdre de temps à convoquer une conférence des commandants. Nous mettrons un canot à la mer et il portera mes ordres à la Walkyrie et à L’Implacable.

— Comptez-vous attaquer l’île sans le soutien du Tybald, amiral ?

Jenour semblait inquiet, il pensait sans doute au jour où il serait affecté ailleurs.

— Le Tybald nous retrouvera. À l’heure qu’il est, Herrick doit avoir ouvert les dépêches. Après ça, mystère.

Peut-être, se dit Jenour. Mais ce sera toujours de votre responsabilité.

Un homme annonça par-dessus le fracas des voiles qui prenaient le vent et le vacarme des poulies :

— L’Anémone remet sous voiles !

Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là poussèrent des cris d’encouragement à la frégate qui s’éloignait, enveloppée de toile. Bolitho s’arrêta un instant pour admirer le spectacle, une frégate qui s’en allait, comme le pur-sang qu’elle était. Il dit enfin : « Dieu vous garde, Adam. » Mais ses mots se perdirent dans le brouhaha.

Un peu plus tard, sous une brise de nordet forcissante qui faisait gîter le vaisseau amiral jusqu’aux sabords, Bolitho redescendit dans sa chambre, seul. Il s’assit à sa table, couvrit d’une main son œil malade et lissa de l’autre la lettre posée devant lui.

« Mon cher Richard, le plus chéri des hommes, je me demande si fort où tu es aujourd’hui, ce que tu fais en ce moment… »

Avec précaution, il sortit la feuille de lierre, devenue cassante avec l’hiver, qu’elle avait glissée dans l’enveloppe. « Elle vient de la maison… »

Bolitho la remit à sa place et, incrédule, vit qu’il avait laissé choir une larme sur le dos de sa main.

C’était comme si elle lui avait envoyé l’une des siennes.

 

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